Le 25 novembre 2024, à Paris, Tidjane Thiam, leader du PDCI-RDA, a rencontré la diaspora ivoirienne dans une atmosphère propice à l’échange. Ce moment, censé être un espace ouvert de discussion et de partage autour de la vision de l’ex-président du Crédit Suisse pour la Côte d’Ivoire, a cependant été entaché par un incident qui, bien que singulier, n’est pas sans rappeler les difficultés que rencontre la liberté de la presse en Côte d’Ivoire. Lors de cette rencontre, le dictaphone de Oro Jean Paul, journaliste et président de l’Union des Journalistes Ivoiriens de France (UJIF), a été confisqué, privant ainsi ce dernier de son outil de travail pour une conférence pourtant présentée comme publique. Plus encore, l’interdiction d’accès à la salle pour un journalistes non affilié au PDCI, comme l’indique le témoignage de Jean Paul Oro, soulève des questions cruciales sur la place de la presse indépendante dans un régime politique qui se profile.
Cet incident est loin d’être anodin. En réalité, l’attitude adoptée par certains membres du PDCI, ce parti se revendiquant “Démocratique”, à l’égard des journalistes, et plus particulièrement à l’encontre de Jean Paul Oro, est révélatrice d’une conception inquiétante de la liberté de la presse. Plutôt que de promouvoir un débat pluraliste et une communication ouverte, cet événement révèle une tentative de contrôle totalitaire de l’information, où seuls les médias affiliés au PDCI bénéficient d’un accès libre et privilégié, en particulier lorsqu’il s’agit d’événements impliquant le parti et son leader, Tidjane Thiam.
Le paradoxe est d’autant plus frappant quand on se souvient du passé du PDCI. Bien qu’il se présente aujourd’hui comme un acteur démocratique, le comportement de certains de ses militants rappelle celui d’un autre temps, celui où le PDCI, sous l’ère du parti unique, s’identifiait à l’État lui-même. À cette époque, le contrôle de la presse et de l’information était absolu, et la liberté d’expression était réprimée au nom d’une prétendue unité nationale. Le spectacle actuel, où le PDCI se comporte à nouveau comme un parti-État, où seuls les médias qui lui sont favorables sont tolérés et où l’accès à l’information est étroitement contrôlé, semble résonner comme un retour aux pratiques autoritaires d’antan.
Si Tidjane Thiam, ancien directeur de Crédit Suisse et présenté comme le “messie” pour la Côte d’Ivoire, incarne un espoir de renouveau pour la nation, il ne semble pas moins entouré de personnes aux pratiques rétrogrades, nostalgiques d’une époque où le contrôle du discours et l’écrasement de la presse libre étaient la norme. Cette attitude ne saurait être un signe de modernité ou de progrès démocratique. Elle évoque plutôt une régression vers des pratiques d’un autre âge, où le PDCI, bien plus qu’un simple parti politique, se considérait comme le garant unique du pouvoir et de la vérité.
Le fait qu’un journaliste, porteur d’une voix indépendante et critique, ait été spécifiquement visé par cette confiscation de matériel, constitue une violation flagrante des principes éthiques du journalisme. En dépit des déclarations rassurantes concernant la transparence et l’ouverture à la presse, le PDCI semble adopter une posture où les organes de presse favorables à la politique du parti sont les seuls à jouir d’un accès privilégié à l’information.
La suspension de « Le Nouveau Réveil »
Il est d’autant plus inquiétant que cet incident survienne dans un contexte où la liberté de la presse en Côte d’Ivoire fait déjà l’objet de vives critiques. La récente suspension de « Le Nouveau Réveil », un journal réputé proche du PDCI, par l’Autorité nationale de la presse (ANP), vient confirmer que les dérives liées à la manipulation de l’information et à l’incitation à la haine ne sont pas isolées. Le 25 novembre 2024, l’ANP a pris la décision de suspendre le journal pour trois parutions à compter du 2 décembre 2024. Cette sanction fait suite à la publication d’un article jugé comme incitant à la haine et portant atteinte à l’éthique journalistique. La chronique incriminée, intitulée « Nous sommes saints, à qui est donc tout ce vin ? », a été jugée non seulement calomnieuse, mais également manipulatrice, violant plusieurs dispositions légales, dont celles liées à l’honorabilité et à la présomption d’innocence.
Ce mélange de confiscations de matériel et de suspensions de presse semble annoncer un climat de plus en plus autoritaire pour la presse en Côte d’Ivoire, et ce, à un moment où la scène politique nationale se prépare pour l’élection présidentielle de 2025. La question qui se pose, au-delà de cet incident spécifique, est celle de l’avenir de la liberté d’expression et du rôle des médias dans un environnement politique tendu. En suspendant un organe de presse comme «Le Nouveau Réveil », l’ANP réaffirme son pouvoir sur les publications qui ne respectent pas les règles strictes imposées par la régulation étatique, tout en laissant planer un doute sur l’équilibre des pouvoirs dans le domaine médiatique.
Mais au-delà de cette décision institutionnelle, c’est bien la question de la liberté d’expression qui est au cœur du débat. Si le PDCI, à travers la confiscation du dictaphone de Jean Paul Oro, montre une volonté claire de contrôler l’accès à l’information, il devient légitime de s’interroger sur l’impact de cette attitude sur la démocratie. En 2024, dans un contexte où la communication politique se fait de plus en plus par le biais des médias et des réseaux sociaux, la concentration de l’information entre les mains des seuls médias favorables au PDCI semble contraire aux idéaux démocratiques. L’événement à Paris, en tant qu’incident isolé mais symbolique, doit nous alerter sur les dangers que représente un contrôle excessif de l’information par les acteurs politiques.
Imaginons dès lors un avenir où l’accès à l’information serait systématiquement restreint. Ce scénario ne serait ni souhaitable ni acceptable dans une république qui se veut démocratique. La liberté de la presse est un principe fondamental, inscrit dans les conventions internationales, et sa violation, même sous des prétextes politiques, n’est jamais anodine. Le rôle du journaliste, garant de la transparence et de la véracité de l’information, est d’autant plus crucial dans une période de préparation électorale. En restreignant l’accès des journalistes à la vérité, le pouvoir politique, quel qu’il soit, s’expose à de lourdes dérives et fragilise ainsi les fondements mêmes de la démocratie.
À l’aube de la campagne présidentielle ivoirienne, la vigilance des journalistes et des citoyens sera déterminante pour garantir la pluralité de l’information et la liberté d’expression. Une presse indépendante, libre et audacieuse reste l’un des derniers remparts contre la dérive autoritaire et contre l’atteinte aux droits fondamentaux, dont la liberté de la presse est un pilier. Il incombe à tous, gouvernants et gouvernés, de veiller à ce que cette liberté ne soit pas réduite au silence au seul profit de discours politiques partisans.
Johnson Smith pour @Enquemedia