Le jeudi 19 décembre 2024, l’État de Côte d’Ivoire a annoncé son désengagement dans le capital de Versus Bank, par un décret approuvé lors du Conseil des ministres. À travers cette décision, l’État cède sa totalité de participation dans le capital de la banque, représentant 52,89% du capital social et des droits de vote, à la société Harvest Capital Holding, une société anonyme ivoirienne nouvellement immatriculée… la veille, soit le 18 décembre 2024. Cette cession, d’un montant de 8,5 milliards de francs CFA, est assortie d’un engagement d’investissements d’un montant total de 10 milliards de francs CFA pour soutenir la banque.


Cependant, cette décision suscite une série de questionnements sur les conditions de cette transaction, particulièrement sur la rapidité de la création de Harvest Capital Holding et sur les intentions cachées derrière cette privatisation, qui semble se faire dans une opacité totale. Les observateurs n’hésitent pas à qualifier cette opération de « braquage de l’État » face à Jean-Claude N’Da Ametchi, l’actionnaire principal historique de la banque, qui se trouve une nouvelle fois mis à l’écart d’une décision importante concernant son investissement. Alors que !
Une cession surprise à une Holding immobilière à la légère apparence
Ce qui frappe dans cette transaction, c’est la célérité avec laquelle Harvest Capital Holding a été créée. Immédiatement après l’annonce du décret gouvernemental, il est révélé que cette société, dirigée par Daouda Soukpafolo Koné, un homme d’affaires influent surnommé “le roi du coton”, a été enregistrée seulement un jour avant l’officialisation de la cession. En outre, la société n’a que des liens indirects avec l’activité bancaire, étant surtout connue pour son implication dans le secteur cotonnier.
Daouda Soukpafolo Koné, originaire de Korhogo, est une figure montante de l’économie ivoirienne, ayant fait fortune grâce à l’industrie cotonnière. Cependant, sa société Harvest Capital Holding semble avoir été montée à la hâte, comme un cheval de Troie permettant à des intérêts privés de prendre le contrôle d’une institution financière publique, sans pour autant répondre aux critères classiques de transparence et d’expertise dans le secteur bancaire.
Le prix de cession, fixé à 8,5 milliards de F CFA, paraît dérisoire au regard de la participation de 52,89% dans Versus Bank, une banque qui, bien que traversant des difficultés financières par le passé, représente un actif important dans le paysage bancaire ivoirien. Selon le procès-verbal de l’Assemblée Générale de Juin 2024 qui a décidé de la hausse de capital à 20 milliards FCFA par incorporation des ressources propres, les 52% cédés à Koné Soupkafolo à 8 milliards FCFA valent en réalité 11 milliards FCFA…Bradage !






De plus, l’engagement d’investissements supplémentaires de 10 milliards de F CFA, bien que prometteur, reste flou et pourrait n’être qu’une promesse sans lendemain, comme cela a déjà été observé dans d’autres transactions de ce type.
L’État contre Jean-Claude N’Da Ametchi : un conflit ancien
Cette transaction survient dans un contexte tendu, notamment avec Jean-Claude N’Da Ametchi, un ancien dirigeant de la banque et actionnaire privé historique. La situation de ce dernier est particulièrement complexe et témoigne des dérives de la privatisation des banques publiques en Côte d’Ivoire. Roger Jean-Claude N’Da Ametchi a été l’un des fondateurs de Versus Bank, en partenariat avec la société suisse Aiglon Holding, et il détient toujours 30% des parts de la banque. Cependant, il a été confronté à de multiples entraves de la part de l’État depuis des années, à commencer par une série de décisions qui l’ont systématiquement écarté des négociations et des cessions d’actions.
En 2009, un protocole d’accord avait été signé entre N’Da Ametchi et l’État pour la cession de ses actions. Cependant, l’État ne respectera pas ses engagements financiers et ne lui versera pas le montant convenu de 553,95 millions de F CFA, ce qui entraînera un conflit judiciaire. L’État de Côte d’Ivoire, par l’intermédiaire de son gouvernement, a systématiquement tenté de passer outre les droits de l’actionnaire privé, en l’occurrence Jean-Claude N’Da Ametchi, et a ainsi permis une privatisation « à marche forcée » de la banque, sans tenir compte des réserves et des décisions des juridictions nationales.
Les tentatives de règlement amiable, en 2017, n’ont pas abouti. L’État a préféré continuer à ignorer la situation de l’actionnaire privé, en optant pour une stratégie de privatisation expéditive, dans laquelle N’Da Ametchi n’a pas été consulté, ni rémunéré pour ses parts.
Une transaction aux multiples irrégularités
La décision du gouvernement de procéder à cette cession enfreint plusieurs règles juridiques et de gouvernance. En premier lieu, la législation ivoirienne prévoit que toute modification du capital social d’une société à participation publique doit être décidée par un quorum des actionnaires, et non de manière unilatérale par le gouvernement. Et selon la législation Ohada relative aux sociétés commerciales et particulièrement aux SA, toute augmentation de capital doit se faire à l’unanimité des actionnaires. Ce qui n’est pas le cas.Le décret du 19 décembre 2024, autorisant cette privatisation, va à l’encontre de ces règles. En effet, l’État, qui détient 70% du capital de Versus Bank, n’a pas la majorité suffisante pour prendre de telles décisions sans l’accord de l’actionnaire privé. A qui bénéficie véritablement de cette privatisation ? La réponse à cette interrogation pourrait bien définir l’avenir de la gouvernance économique en Côte d’Ivoire.
Dans les rapports des années 2017, 2018 et 2019, il est clairement indiqué que l’opération est suspendue jusqu’au règlement définitif du litige avec JC N’Da Ametchi. La seule chose qui a changé, c’est l’augmentation de capital avec l’émission d’actions nouvelles, ce qui a permis de faire entrer la CGRAE au capital. Cependant, la CNPS s’est rétractée après le courrier de l’avocate d’Ametchi.



Chronologie des étapes de la privatisation de Versus Bank

Création de Versus Bank (2003)
Versus Bank a été agréée en tant que banque par l’arrêté n°425/MEMEF/DGTCP du 1er décembre 2003. Elle a été fondée par Roger Jean-Claude N’Da Ametchi, un cadre supérieur bancaire, en partenariat avec Aiglon Holding SA, une société suisse détenue par Cheikné Kagnassi (65% des parts), N’Da Ametchi (30%) et Abou-Bakar Ouattara (5%).
Difficultés financières et nationalisation (2006-2009)
Versus Bank fait face à des difficultés financières en raison de la faillite de l’actionnaire majoritaire. Elle est placée sous administration provisoire du 2 août 2006 au 31 décembre 2008. Le 6 janvier 2009, un décret n°2009-08 la nationalise pour éviter sa faillite. Cependant, l’État rencontre des difficultés à financer le rachat des actions des trois actionnaires, ce qui retardera la résolution de la situation.
Le rachat des parts des actionnaires (2011-2012)
Le gouvernement de Alassane Ouattara, après l’instabilité politique liée à la crise post-électorale de 2010-2011, rachète les parts de deux actionnaires :
- Aiglon Holding SA (via l’Office cantonal des faillites de Fribourg) pour 1,2 milliard de FCFA.
- Abou-Bakar Ouattara pour 92,37 millions de FCFA.
En revanche, Roger Jean-Claude N’Da Ametchi (30% des parts) reste dans le collimateur des autorités ivoiriennes et n’est pas indemnisé, ce qui deviendra un point de friction majeur.
Le conflit avec N’Da Ametchi (2011-2014)
En avril 2011, N’Da Ametchi est écarté de la direction de Versus Bank par décret n°2011-078, puis ses avoirs sont gelés le 3 mai 2011. L’État tente de l’exproprier de ses actions, mais un protocole d’accord de rachat d’actions signé le 7 janvier 2009 entre N’Da Ametchi et l’État stipule que la cession des actions, pour un montant de 553,95 millions de FCFA, devait être réglée avant le 31 mars 2009. Le non-paiement de cette somme par l’État, malgré des mises en demeure, permet à N’Da Ametchi de récupérer ses actions en octobre 2014.
Tentatives de gèglement à l’amiable et forces contradictoires (2015-2016)
Le 24 juin 2015, le gouvernement ivoirien propose un règlement amiable avec N’Da Ametchi pour le paiement des actions cédées, mais les négociations échouent, notamment sur la valeur des actions. En décembre 2015, l’État engage une procédure juridique contre N’Da Ametchi pour l’empêcher d’entraver le processus de privatisation. Le 30 mai 2016, le juge des référés se déclare incompétent, ce qui ralentit encore la privatisation.
Tentatives de privatisation (2016-2017)
- 9 mai 2016 : L’État lance la privatisation de Versus Bank.
- 29 mars 2017 : Le processus est suspendu par Rothschild & Cie, le conseiller financier de l’État, en raison des problèmes juridiques avec N’Da Ametchi.
- 19 juillet 2017 : Le Comité de privatisation ivoirien décide également de suspendre l’opération.
Remplacement du président du comité de privatisation (2021)
En raison des tensions liées à la privatisation et de son apparente désolidarisation de l’État, Christian Koffi Konan, nommé président du Comité de privatisation en 2013 par décret n°2013-321, est remplacé le 8 septembre 2021 par Emmanuel Koffi Ahoutou.




Négociations et conflit persistant (2022-2024)
En mars 2022, le Comité de privatisation, par l’intermédiaire de Emmanuel Koffi Ahoutou, rappelle que le montant convenu pour la cession des actions de N’Da Ametchi en 2009 était 553,95 millions de FCFA, mais N’Da Ametchi conteste ce montant, arguant que la valeur des actions a évolué en raison de la performance financière de la banque. En 2018, Versus Bank a réalisé des bénéfices importants, et la valeur des actions a grimpé à 43.333 FCFA l’action.
Privatisation et réforme capitalistique (2018)
Le 27 juin 2018, l’État adopte un décret n°2018-598 pour augmenter le capital de Versus Bank, portant la participation de l’État à 52,89% et créant un nouvel actionnariat avec la Caisse générale de retraite des agents de l’État (CGRAE) qui obtient 47,11% des actions.
Vente des actions de l’État (2024)
Le 19 décembre 2024, un nouvel événement survient : Koné Daouda Soukpafo, via Harvest Capital Holding, rachète, sans appel d’offres, l’intégralité des actions de l’État dans Versus Bank, représentant 52,89% du capital.
LA REDAC’ (Suite )
Qui est Abou-Bakar Ouattara
Le gouvernement de Alassane Ouattara, après l’instabilité politique liée à la crise post-électorale de 2010-2011, rachète les parts de deux actionnaires : Aiglon Holding SA (via l’Office cantonal des faillites de Fribourg), une société suisse détenue par Cheikné Kagnassi le père de Sidi Mohamed Kagnassi, pour 1,2 milliard de FCFA. Abou-Bakar Ouattara pour 92,37 millions de FCFA. En réalité, Aiglon Holding SA des Kagnassi et Abou-Bakar Ouattara représentent deux facettes d’une même entité. En effet, Abou-Bakar Ouattara, ancien directeur général de Karité SA (une société de négoce café-cacao en Côte d’Ivoire et filiale du groupe Aiglon), était également directeur de la comptabilité de l’Aiglon Côte d’Ivoire et représentant permanent d’Aiglon Holding SA au conseil d’administration de Versus Bank.

Abou-Bakar Ouattara appartient à un milieu influent. Expert-comptable de formation, il est fils du patriarche Gaoussou Ouattara et neveu du président Alassane Ouattara. Il a également représenté Hamed Bakayoko, alors ministre d’État, ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, au sein du conseil d’administration de La Poste de Côte d’Ivoire. Par ailleurs, son cabinet d’audit, Goodwill Audit & Consulting, collabore avec Ernst & Young pour assurer le commissariat aux comptes de la CGRAE. Aboubakar Ouattara représentant des intérêts de Sidi Mohamed Kagnassi à Air Cote d’Ivoire avec 24% des actions.