À Abobo, à l’angle du feu tricolore de PK18, les scènes de vie se mélangent entre résilience et terreur. Des vendeuses de bananes braisées, de poulets grillés, d’oranges, des marchands de chaussures, des gérants de cabines téléphoniques, sans oublier les laveries automobiles improvisées et les commerçants d’eau, de mouchoirs, de cigarettes et de sucreries… Tous, avec un sourire sur les lèvres, mènent leur combat quotidien pour subvenir à leurs besoins. Mais derrière cette façade de jovialité, la réalité est bien plus sombre.

Un passé oublié
Derrière ces étals ambulants se trouve un espace autrefois animé par des pâtissiers, forgerons et menuisiers, mais qui, avec la création d’une nouvelle station, a été évacué. Depuis, ce terrain, défiguré par des tôles et une végétation sauvage, est devenu un véritable dépotoir à ciel ouvert. Les petites bêtes, crapauds, souris et insectes, sont devenus les maîtres des lieux. Un terrain de cachettes pour les produits vivriers des vendeurs ambulants, transformé en refuge d’infortune. Mais tout n’est pas aussi paisible que semble l’indiquer ce décor de survie. Les vendeurs ambulants, dans leur lutte pour leur subsistance, se retrouvent pris dans une guerre contre les agents municipaux. À l’arrivée de ces derniers, la panique s’empare des commerçants : hommes, femmes, enfants, tout le monde fuit, cache ses marchandises, espérant échapper à l’inévitable dévastation.

Kisabala, commerçante d’eau, de colas, de cigarettes et de mouchoirs, ne dira pas le contraire. Alors qu’elle tentait de protéger ses biens, elle a chuté dans le caniveau du refuge, fracturant sa jambe droite. Dans ce combat pour un pain quotidien, chaque instant devient une épreuve de résistance.
Le martyr de Madame Djako
Madame Djako, vendeuse de chaussures sur cette même artère depuis des années, a vu son quotidien brisé lors d’une scène digne d’un cauchemar. Un jour de septembre 2024, alors qu’elle vendait paisiblement ses articles après les avoir soigneusement disposés, les agents de la mairie ont débarqué sans avertissement. En un clin d’œil, ses chaussures ont été jetées dans des camions blancs, ses étals réduits à l’état de débris. Désespérée, elle s’effondre en larmes sous le regard des passants et conducteurs, impuissants face à une telle brutalité. Les supplications des témoins n’ont eu aucun effet, les agents municipaux restaient inflexibles.

Vendre au bord de la route : une mort annoncée
En bordure de route, là où la circulation est censée être fluide et sécurisée, des centaines de vendeurs se battent pour leur survie. Ces petites échoppes, au milieu du chaos urbain, représentent l’espoir d’un quotidien meilleur. Mais ce rêve est souvent tragiquement interrompu. Les accidents de circulation, devenus fréquents dans cette zone, emportent parfois ceux qui, pour un peu de dignité, se sont résignés à exposer leurs marchandises au bord de la route. Des vies fauchées, des corps mutilés, dans une course contre le temps et contre la misère.

À cela s’ajoute l’exploitation systématique de ces travailleurs de l’ombre. Faute de régulation, ils sont à la merci de forces de l’ordre ou d’intermédiaires malhonnêtes, qui profitent de leur situation précaire pour les contraindre à des pratiques abusives.
Abobo, PK18… un microcosme de l’injustice sociale. Une guerre à la fois invisible et bruyante, où chaque journée passée sur le pavé est un défi de plus. Pour ces commerçants, les routes ne mènent pas seulement à la survie, mais à un véritable combat pour leur dignité.
O.K pour EnqueteMedia