À Abadjin-Doumé, une affaire de litige foncier révèle les dérives persistantes dans la gestion du domaine urbain en Côte d’Ivoire. Deux professionnels, Veglano Koffi Alphonse, géomètre-expert, et son collaborateur Sanou Boroma Alain, sont aujourd’hui au cœur d’un imbroglio administratif et judiciaire, où des décisions de justice irrévocables et des instructions ministérielles sont tout simplement ignorées.
Le différend porte sur un lotissement dûment approuvé par l’arrêté ministériel n°04862/MCU/DU/SDAF du 5 octobre 2005. Dans le cadre d’un quota conventionnel signé avec la collectivité villageoise en 2002, leur cabinet, IVOIRE Topographie, s’est vu attribuer 449 lots. Ces attributions ont été confirmées par plusieurs décisions judiciaires, notamment le jugement n°263 du 3 mai 2015, les arrêts n°17/CIV du 12 janvier 2018, n°53/20 CIV 5 du 3 mars 2020, n°1037/20 du 18 décembre 2020 (Cour de cassation) et n°327/22 CIV 2 du 15 juillet 2022.
Ces décisions judiciaires ont été renforcées par des correspondances officielles du ministère de la Construction. Par un courrier daté du 28 février 2019 (n°532/MCLAU/DAJC/KM), la Direction des Affaires Juridiques et du Contentieux (DAJC) a confirmé la légitimité de l’attribution des lots au cabinet. Cette position a été réitérée dans un second courrier, le 31 mars 2021 (n°0888/MCLAU/DAJC/KM), demandant que les actes administratifs soient établis exclusivement sur la base du guide élaboré par IVOIRE Topographie.
C’est donc en toute conformité avec cette sécurité juridique que Sanou Boroma Alain a procédé à la cession de plusieurs lots. Chaque transaction était accompagnée des documents justificatifs, dont les courriers ministériels et un exploit de commissaire de justice daté du 27 mars 2019, attestant de la réception desdits documents par la Direction du Domaine Urbain (DDU).
Pourtant, contre toute attente, des poursuites pour escroquerie, faux et usage de faux ont été engagées à l’encontre de Sanou Alain, à la suite de plaintes d’acquéreurs perturbés par le refus de la DDU de traiter leurs dossiers d’ACD. Une situation paradoxale, d’autant plus que les documents utilisés par M. Sanou émanent de l’autorité compétente et s’appuient sur des décisions judiciaires définitives.
Le nœud du problème semble résider dans la prise en compte, par la DDU, d’un second guide de répartition établi par les sieurs Yama Djiro Joseph et N’Gbodi Boudjui Émile, avec l’appui de l’ex-directeur du Domaine Urbain, Adjoumani Boffoué Parfait. Ce document, dénué de toute base légale, a permis des attributions parallèles de lots, des délivrances frauduleuses d’ACD et des occupations illégales sur des terrains déjà alloués au cabinet IVOIRE Topographie.

Cette situation constitue une violation grave de l’autorité de la chose jugée et des principes de l’État de droit. Plusieurs dispositions du Code pénal sont potentiellement bafouées : faux et usage de faux, immixtion dans les fonctions judiciaires, et refus d’exécution des décisions de justice.
Au-delà d’un simple litige foncier, cette affaire soulève une question fondamentale : celle de la responsabilité de l’administration publique face aux décisions de justice. En s’érigeant en contre-pouvoir illégitime, certains acteurs administratifs contribuent à décrédibiliser l’appareil judiciaire et à fragiliser la sécurité juridique.
Il est temps que le ministère de la Construction prenne ses responsabilités, réaffirme l’autorité des décisions de justice, et mette fin à ces dérives. Dans un État de droit, la loi doit primer sur les intérêts particuliers et les pratiques opaques. Il en va de la crédibilité des institutions, mais aussi de la confiance des citoyens dans la justice et l’administration.
LA REDAC’