L’affaire Versus Bank qui comporte des relents particulièrement scandaleux mérite d’être rappelée. Retour sur le braquage opéré par l’Etat.
Les retraites des fonctionnaires mises en danger par la CGRAE
En date du 27 juin 2018, le gouvernement ivoirien a décidé, par décret, décidé de l’augmentation du capital de Versus Bank de 3,0 milliards FCFA à 14,6 milliards FCFA, via une cession d’actions à l’Institut de Prévoyance Sociale-Caisse Générale de Retraite des Agents de l’Etat (IPSCGRAE) à hauteur de de 11.580.000.000 FCFA. Le capital de la banque étant ainsi répartit comme suit : Etat de Côte d’Ivoire (52,9%) et IPS-CGRAE (47,1%).
Cette décision avait toutefois été prise au mépris de l’exploit d’huissier en date du 20 octobre 2014, notifiant à l’Eta de Côte d’Ivoire qu’en application des stipulations de l’article 7 du protocole d’accord, Jean Claude Roger N’Da Ametchi retrouvait de plein droit la pleine propriété de ses 90.000 actions.
Ce qu’il faut relever ici, c’est l’IPS-CGRAE gère les fonds alloués aux retraites des fonctionnaires de l’Etat. Ainsi, injecter montant d’argent aussi important dans une banque qui fait l’objet d’un litige entre actionnaires démontre d’un certain manque de rigueur de la part du Directeur général de cette structure, à savoir Abdrahamane Berté. Par ces actions, ce dernier met clairement en danger la retraite des fonctionnaires de l’Etat en se livrant à des investissements à risque, sans prendre les précautions nécessaires pour une institution qui, en principe, devrait être attachée à la sécurité de ses investissements eu égard à la nature délicate des fonds qu’elle a pour mission de gérer.



Et pourtant, en face, l’IPS-CNPS qui avait été dans un premier temps annoncé au tour de table, a préféré reculer. Informé du litige qui prévaut, le comité d’investissement de l’IPS-CNPS qui gère les retraites des agents du secteur privé, a préféré, de façon particulièrement professionnelle, donner une fin de non-recevoir à cet investissement particulièrement risqué en l’état.
Un cadeau incroyable à Daouda Soupkafolo
Le 19 décembre 2024, le gouvernement ivoirien a annoncé la cession de 52,89% par l’Etat de Côte d’Ivoire dans le capital de Versus Bank à la société Harvest capital holding, une société curieusement immatriculée juste la veille le 18 décembre 2024 et appartenant à l’homme d’affaires ivoirien Koné Daouda Soupkafolo, surnommé le « roi du coton ».
Cette cession, d’un montant de 8,5 milliards FCFA, est assortie « d’un engagement d’investissement » d’un montant total de 10 milliards FCFA pour soutenir la banque.
Cette annonce du gouvernement ivoirien soulève de nombreuses questions tout en faisant apparaitre un certain nombre d’éléments démontrant que les autorités ivoiriennes ont offert en cadeau Versus Bank à Daouda Soupkafolo que certaines sources disent proche des plus hautes autorités de ce pays.
En effet, aux termes d’une assemblée générale mixte tenue le 27 juin 2024, il a été décidé l’augmentation du capital de Versus Bank par incorporation des réserves pour le porter à 20 milliards FCFA conformément aux exigences réglementaires au sein de l’UMOA.
Cette augmentation de capital a été réalisée au moyen de l’émission d’un million d’actions nouvelles réparties d’une valeur nominale de 10.000 FCFA chacune réparties entre l’Etat de Côte d’Ivoire (52,89%) et l’IPS-CGRAE (47,11%).
Au terme de cette opération 52,89% de l’Etat de Côte d’Ivoire soit 1057800 actions seront valorisées à 11 274 883 435 FCFA. Tandis que les 47,11% soit 942200 actions de l’IPS-CGRAE seront valorisées à 10 042 725 630 FCFA.
Et c’est là que les choses deviennent particulièrement intéressantes. Parce que comment comprendre qu’un Etat dont les parts sociales sont valorisées à 11,27 milliards FCFA peut se permettre de les brader, six mois plus tard, à 8,5 milliards FCFA à une société créée seulement la veille. Soit une décote de près de 3 milliards FCFA. Ceci, alors que l’opération de privatisation devait initialement et en partie permettre à l’Etat de Côte d’Ivoire de mobiliser des ressources financières en tirer le juste prix de la cession de ses parts.
C’est d’autant plus grave qu’en juin 2018, l’IPS-CGRAE a payé 11.580.000.000 FCFA pour intégrer le capital de Versus Bank à hauteur de 47,11%. Et voilà qu’en décembre 2024, alors même que les capitaux propres de la banque se confortés, avec une mise à niveau du capital en conformité avec les exigences réglementaires de l’UMOA, Harvest Holding de Daouda Soupkafolo se trouve gratifié de 52,89%, à savoir actionnaire majoritaire, pour seulement 8,5 milliards FCFA. C’est totalement renversant !
Par ailleurs, le supposé « engagement d’investissement » d’un montant total de 10 milliards FCFA pour soutenir la banque de la part de Harvest Holding semble dénué de tout sens dans la mesure où le plus important pour une banque, c’est de renforcer ses capitaux propres et non de parler d’investissements manifestement flous, à travers lesquels on tente de cacher la forêt en utilisant un arbre. Ou encore de faire plus facilement avaler la pilule du bradage de la banque.
Par ailleurs, Harvest Holding qui a été créé seulement la veille de la cession, n’a aucune référence au niveau bancaire tant en Côte d’Ivoire que dans la zone UMOA. Or pourtant, lors du lancement du processus de privatisation de Versus Bank en juin 2015, il avait décidé le schéma suivant : cession de 67% du capital à un groupe bancaire ayant des références avérées dans le financement des PME/PMI, qui s’engagera à recapitaliser la banque et à mettre en œuvre un plan de relance ambitieux et crédible ; et cession de 33% du capital à des investisseurs nationaux intéressés par le financement des PME/PMI.
Avec tous ces derniers développements, l’on n’est clairement plus dans un tel schéma puisqu’il s’agit maintenant de faire entrer un actionnaire majoritaire qui n’a aucune expérience dans le domaine bancaire pour une banque qui censée être orientée vers le financement des PME/PMI.
La volonté de refiler en cadeau une banque à Daouda Soupkafolo apparait avec évidence. Et c’est à se demander si la Commission bancaire de l’UMOA qui doit donner son autorisation pour une telle cession va avaler aussi facilement cette couleuvre qui saute autant aux yeux.
Qu’attend la commission bancaire pour se saisir du dossier afin de vider le contentieux ?
En vertu des textes la régissant, la Commission Bancaire de l’UMOA est chargée « d’assurer la solidité et la sécurité du système bancaire de l’UMOA à travers, notamment, le contrôle des établissements assujettis et la résolution des crises bancaires. Elle veille également à la protection des déposants et contribue au maintien de la stabilité du système financier régional », peut-on lire sur son site officiel.
Et dans l’accomplissement de ses missions à elle dévolues, la Commission bancaire avait déjà en 2010 effectué des missions de vérification des recommandations et actions correctives qu’elle a formulé à Versus Bank alors sous administration provisoire, au rang desquelles figurait en bonne place, la preuve de l’inscription au budget national 2011 du paiement du prix de rachat de la totalité des actions. A ce moment, le gouverneur de la BCEAO qui fait office de président de la Commission bancaire de l’UMOA était Philippe-Henri Dakoury-Tabley.

Mais depuis lors, la Commission bancaire de l’UMOA semble s’être désengagée du dossier Versus Bank contrairement à ses missions énoncées ci-haut. En effet, après avoir sollicité son intervention pour le règlement du litige l’opposant à l’Eta de Côte d’Ivoire par l’Avocat-conseil de Jean Claude Roger N’Da Ametchi, conformément sa mission, la Commission bancaire sembla étonnement se laver les mains.
Dans un courrier en date du 24 aout 2017, la Commission bancaire de l’UMOA va carrément inviter, sans plus, l’Avocat-conseil de Jean Claude Roger N’Da Ametchi « à saisir les Autorités nationales en vue du règlement de ce litige portant sur la propriété des actions de Versus Bank ». Il s’agit là d’une véritable fuite en avant.
En tant que Gouverneur de la BCEAO, celui qui présidait la Commission bancaire à cette époque était Tiémoko Meyliet Koné qui occupera ce poste jusqu’en 2022 avant d’être nommé Vice-président de la Côte d’ivoire.
Faut-il voir dans ce refus d’accomplir sa mission et de régler le litige pendant à Versus Bank, une volonté politique ? En tout cas, tout porte à y croire tant le silence de la Commission bancaire est étonnant voire même scandaleux.
Dans un tel cas de figure, va-t-elle, plutôt de prendre en main cette affaire et régler le contentieux, autoriser le bradage de 52,89% des actions de Versus Bank à Harvest Holding de Daouda Soupkafolo, nouvellement créée et sans aucune référence bancaire ?
Les futurs développements de cette affaire permettront de constater ce que valent réellement, en termes de crédibilité, certaines institutions comme la Commission bancaire de l’UMOA. Ou alors donneront-t-elles raison aux critiques qui ne cessent de s’élever, les qualifiants d’institutions politiques dont certains tirent les ficelles dans l’ombre pour atteindre leurs objectifs qui n’ont rien à voir avec leurs missions initiales ? Rien n’est moins sûr. Et il faudra suivre de près les actions que mènera la Commission bancaire de l’UMOA sur le dossier Versus Bank.
Alassane Ouattara et Tiemoko Meyliet devant leurs responsabilités
Il est peu honorable que ce soit au moment où la Côte d’Ivoire est dirigée par deux anciens gouverneurs de la BCEAO et par la même occasion, président de la Commission bancaire de l’UMOA qu’un tel litige survient dans le paysage bancaire ivoirien au cours duquel un citoyen du pays, en la personne de Jean Claude Roger N’Da Ametchi, est ouvertement en train de se faire déposséder de ses parts sociales par l’Etat ivoirien.
La Président Alassane Ouattara et le Vice-Président Tiemoko Meyliet ont, en effet, tous deux occupé ces fonctions et savent pertinemment qu’une pareille situation nuit gravement à l’image du paysage bancaire ivoirien.
Pour preuve, dans le cadre du processus de privatisation, la banque internationale d’affaires Rothschild & Cie, sur conseil du cabinet international d’Avocats Orrick, a préféré reculer sur le dossier Versus Bank. Et avec elle, 46 repreneurs potentiels de référence à l’international.
Il s’agit là clairement d’une perte d’opportunité pour le secteur bancaire ivoirien d’avoir enfin une banque de référence en matière de financement des PME/PMI. Ce qui implique, par ricochet, un manque à gagner évident pour l’économie ivoirienne.
Ce litige qui n’a que trop duré, ainsi que la mauvaise publicité qui s’ensuit pour le pays ne contribue en rien à la bonne marche de la banque, mais non plus à la quiétude des investisseurs, encore moins des clients et des épargnants.


Créée depuis une vingtaine d’années, Versus Bank n’arrive toujours pas à atteindre son plein potentiel avec des résultats encore mitigés, en raison d’une situation qui aurait dû être réglée depuis bien longtemps maintenant, si ce n’est l’entêtement déraisonné des autorités ivoiriennes.
Selon les données que la rédaction a pu consulter à octobre 2024, Versus Bank n’occupe que seulement 1% de part de marché du secteur bancaire ivoirien, loin derrière certaines de ses cadettes telles que Bridge Bank (3%), BGFI Bank (4%), UBA (4%), ou encore Coris Bank (5%).
Plus que jamais, le président Alassane Ouattara devrait se saisir personnellement de ce dossier afin d’en vider le contentieux de façon définitive, en tenant bien sûr compte des droits objectifs des parties et de la nécessité de réparer le tort commis depuis plus d’une dizaine d’années maintenant à Jean Claude Roger N’Da Ametchi.
LA REDACTION (Suite et fin)