Au cœur de l’économie ivoirienne, l’or a pris une place de plus en plus prépondérante, allant jusqu’à supplanter le cacao dans les recettes d’exportation. Selon les rapports de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), les recettes d’exportations d’or non monétaire ont connu une hausse spectaculaire, passant de 90 milliards de FCFA en 2010 à plus de 1190 milliards en 2022, avec un taux de croissance annuel moyen de 22 %. Pendant ce temps, les recettes du cacao, longtemps moteur économique de la Côte d’Ivoire, stagnent autour de 4 % de croissance. Toute chose qui traduit une transformation profonde du paysage économique et agricole du pays. Cependant, ce changement rapide soulève des questions sur ses conséquences à long terme, en particulier à la lumière du “syndrome hollandais” et de ses effets néfastes sur l’agriculture et la stabilité économique.

L’or en Côte d’Ivoire : Un miracle économique en apparence
L’essor de l’or en Côte d’Ivoire est indéniable. Le pays, riche de ses sols aurifères, est devenu l’un des plus grands producteurs d’or en Afrique de l’Ouest. De grandes entreprises minières internationales telles que Randgold (aujourd’hui Barrick Gold), Newcrest Mining et Endeavour Mining exploitent des mines industrielles de grande envergure. Ces investissements génèrent des revenus substantiels pour l’État ivoirien et des emplois dans certaines régions, principalement dans l’Ouest et le Centre du pays.
En principe, la montée en puissance de l’industrie aurifère aurait dû améliorer le niveau de vie des populations locales, en particulier celles des zones de production aurifère. Cependant, les bénéfices de cette richesse minière semblent se concentrer ailleurs, alors que les territoires agricoles se voient peu à peu délaissés au profit des activités d’orpaillage. Ce phénomène pourrait-il annoncer une malédiction, semblable à celle observée dans d’autres pays riches en ressources naturelles ?
L’exode vers l’orpaillage : Une menace pour l’agriculture
Le dynamisme du secteur minier, bien que stimulant pour l’économie à court terme, présente des risques majeurs pour les autres secteurs clés, notamment l’agriculture. Le modèle économique ivoirien, historiquement fondé sur la production de cacao, de café et d’autres cultures vivrières, semble se voir redéfini par la montée en puissance de l’or. Les terres agricoles, jadis dédiées à la production de cacao et autres cultures vivrières, sont progressivement abandonnées au profit des mines.
En effet, l’orpaillage attire de plus en plus de travailleurs, y compris ceux des zones rurales historiquement consacrées à l’agriculture. Selon un rapport publié en 2022 par le Conseil national des droits de l’homme (CNDH), plus de 23 000 orpailleurs étaient recensés sur 241 sites clandestins. Cependant, ce chiffre sous-estime largement la réalité, car de nombreuses autres personnes œuvrent sur des sites non officiellement enregistrés, à l’image des vastes zones du pays où des techniques d’extraction artisanales et informelles sont pratiquées.
Cet exode des populations rurales vers les sites miniers présente plusieurs risques pour l’agriculture ivoirienne. D’une part, la désertion des champs de cacao, de café et d’autres cultures vivrières entraînera une diminution de l’offre de produits agricoles, mettant ainsi à mal la souveraineté alimentaire du pays. D’autre part, une telle dynamique risque de renforcer la dépendance du pays aux importations alimentaires, particulièrement dans un contexte où l’agriculture vivrière peine à se moderniser.
Le Syndrome Hollandais : Une malédiction à redouter ?
Le “syndrome hollandais” fait référence à un phénomène économique observé aux Pays-Bas dans les années 1960, lorsque la découverte et l’exploitation de gisements de gaz naturel ont entraîné une forte appréciation de la monnaie locale. Cela a rendu les autres secteurs économiques, notamment l’industrie et l’agriculture, moins compétitifs à l’international, car les produits néerlandais étaient désormais plus chers. De plus, les recettes générées par le gaz naturel ont conduit à une négligence des autres secteurs économiques, exacerbant ainsi la dépendance du pays aux revenus issus du gaz.

Dans le cas de la Côte d’Ivoire, bien que l’or ne soit pas exploité à une échelle comparable à celle du gaz néerlandais, le principe du syndrome hollandais semble tout de même pertinent. En effet, la dépendance accrue aux revenus de l’or pourrait mener à une désindustrialisation et à une marginalisation du secteur agricole, notamment du cacao, dont la croissance est bien moins dynamique que celle de l’or. Le pays pourrait alors se retrouver dans une situation où les autres secteurs économiques, en particulier l’agriculture et l’industrie, seront négligés, ce qui pourrait à terme nuire à la diversification de l’économie.
Une exploitation minérale au détriment des terres et de l’agriculture
L’un des aspects les plus préoccupants de l’essor de l’industrie aurifère en Côte d’Ivoire est l’impact environnemental de l’extraction de l’or. L’orpaillage, souvent effectué de manière artisanale et non régulée, engendre une déforestation massive, un déversement de produits chimiques toxiques (comme le mercure) et la destruction des sols. Ces pratiques ont un impact direct sur l’agriculture, qui dépend de terres arables de qualité.
Les terres affectées par l’exploitation minière deviennent progressivement inutilisables pour l’agriculture, ce qui aggrave la pression sur les ressources agricoles restantes. En outre, la perte de biodiversité et la dégradation des écosystèmes liés à ces pratiques ont des répercussions à long terme sur la sécurité alimentaire du pays.
Le boom de l’or en Côte d’Ivoire est une opportunité indéniable, mais qui porte également en elle des risques considérables. Le pays se trouve à un carrefour crucial : celui de la tentation de concentrer sa richesse sur l’exploitation minière ou de prendre des mesures pour garantir une croissance économique plus équilibrée et durable. Pour éviter de sombrer dans la malédiction de l’or, la Côte d’Ivoire devra veiller à ne pas sacrifier son agriculture et ses autres secteurs économiques au profit de la ruée vers l’or, en misant sur une gestion prudente et équitable de ses ressources naturelles.
LA REDAC’