Abidjan, 11 mars 2025 – La Côte d’Ivoire perd une figure tutélaire du journalisme, un bâtisseur d’idées, un artisan de paix. Michel Kouamé, journaliste émérite, ancien directeur général du quotidien Fraternité Matin (1994-1999), conseiller économique, social, environnemental et culturel, Ancien Vice-Président du Conseil régional du Gontougo, chef traditionnel sous le nom de Nanan Djanfi II, s’est éteint, le mardi 11 mars 2025.

Homme aux multiples facettes, Michel Kouamé laisse derrière lui une œuvre humaine et intellectuelle d’une richesse exceptionnelle, façonnée par une sagesse profonde et une humanité sans faille. Il incarnait une philosophie de vie fondée sur une trilogie morale qu’il énonçait avec ferveur : N’doumbouassiè (la patience, l’endurance), Anouanzè (l’union, la concorde) et Ahonto (la Paix). Ces trois piliers guidaient ses décisions, ses relations et son engagement dans la société.
Un journaliste d’exception, une plume au service du pays
Issu de la prestigieuse lignée des Atta Koffi, originaire du village de Tanokoffikro dans la sous-préfecture de Koun-Fao – surnommé à juste titre le village des journalistes – Michel Kouamé a grandi dans un environnement profondément marqué par l’amour des lettres et le culte du savoir. Il est le frère aîné de Noël X Ebony, journaliste légendaire, dont le nom a été donné au grand prix national de journalisme. La famille compte également des figures symboliques telles que Jean-Pierre Kwaku (feu Kassamoi), Jean-Baptiste Kouamé, Paul Bahini ou encore Yao Noël, cofondateur de l’Union nationale des journalistes de Côte d’Ivoire (UNJCI).
C’est Atta Koffi Gabriel, patriarche intellectuel de la famille, qui a éveillé en Michel Kouamé la passion du journalisme et de la culture. Dans un témoignage émouvant, Michel déclarait :
« Gabriel qui part, m’a donné le goût de tout : la lecture, d’abord ; la musique classique, le jazz ensuite ; puis, la recherche obstinée du savoir. C’était mon deuxième père… »
Ce legs, il l’a honoré toute sa vie. À la tête de Fraternité Matin, il a marqué les esprits par son professionnalisme rigoureux, sa vision éditoriale structurante et son attachement aux valeurs éthiques du métier.

Un amoureux des livres, des arts et de la beauté
Loin de l’image austère que l’on pourrait se faire d’un homme d’influence, Michel Kouamé était avant tout un esthète. Son bureau personnel, plus proche d’un sanctuaire de la connaissance que d’un lieu administratif, était une véritable bibliothèque vivante. De hauts rayonnages, en bois noble, s’alignaient méthodiquement, remplis d’ouvrages classés avec un soin méticuleux : philosophie, politique, poésie, musique, littérature classique… Chaque livre semble avoir été choisi comme on compose une symphonie. Quelques plumes rares de collection, posées dans des écrins de cuir, trônaient sur son bureau, à côté de tableaux d’art contemporains et traditionnels, témoignant de son amour pour la création sous toutes ses formes.

Il vouait une passion particulière à Mozart, qu’il écoutait dans le silence feutré de ses après-midis studieux. À cela s’ajoutait un goût prononcé pour le jazz, la nature, les animaux et l’environnement. Une sensibilité presque poétique animait cet homme d’ordre.
Un bâtisseur spirituel, un guide coutumier
Sa spiritualité, discrète mais profonde, l’avait conduit à embrasser l’islam le 16 mars 2003, bien avant que l’histoire ne l’appelle à la chefferie. Il prit alors le nom de Mikhaïlou. C’est sous sa gouvernance, dans l’enceinte même de Fraternité Matin, que la mosquée où les travailleurs musulmans peuvent aujourd’hui encore s’acquitter de leurs prières quotidiennes fut construite. Ce geste, bien plus qu’un acte d’aménagement, fut un témoignage de tolérance, d’anticipation et de foi.

Plus tard, l’appel des ancêtres et du destin coutumier le rappela à ses origines. Il fut intronisé Nanan Djanfi II, chef de Broukro, une entité regroupant 26 villages, s’étendant du département de Koun-Fao jusqu’au Ghana. En cette fonction traditionnelle, il se révéla homme d’équilibre, médiateur habile, sage parmi les siens. Il gouverna avec la même rigueur bienveillante que celle qu’il déployait dans les salles de rédaction.
Un héritage vivant
Michel Kouamé fut un homme complet : journaliste de haut vol, intellectuel raffiné, chef traditionnel respecté, citoyen engagé, homme de foi, passeur de mémoire, frère, mentor, père spirituel pour une génération entière.
Son départ laisse un vide immense. Mais son héritage demeure, tissé dans les souvenirs des siens, dans les colonnes de Fraternité Matin, dans les murs de la mosquée qu’il a fait bâtir, dans le Gontougo, dans les forêts de Broukro qu’il aimait tant parcourir, dans chaque mot qu’il a transmis, dans chaque silence habité.
Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire perd un homme de paix.
La presse perd une voix.
Le peuple Agni-Bona pleure un guide.
La culture ivoirienne s’incline devant l’un de ses grands serviteurs.
Michel Kouamé, Nanan Djanfi II, Mikhaïlou, que la paix – ta paix – t’accompagne.
Taki BOUANZI
Journaliste,
Fils du Gontougo