Les habitants de M’Batto-Bouaké, un village Gwa situé dans la sous-préfecture de Bingerville, ont exprimé leur ferme opposition à des tentatives d’accaparement de leurs terres lors d’une conférence de presse qui s’est tenue le 30 octobre 2024, au carrefour N’Da, près du village.
Accusations et menace sur les terres
Biesson Clément, porte-parole des habitants et fils du village, a dénoncé Koné Moussa, surnommé “Autorité Nabil”, pour avoir acquis 150 hectares de terres auprès de la famille Alloubé, originaire d’Adjamé Bingerville. Selon lui, cette vente compromet les projets de valorisation des parcelles, dont certaines sont déjà cultivées en hévéa. Un constat d’huissier daté du 9 août 2024 a confirmé que des bulldozers avaient déraciné ces plantations, laissant les plants à terre, tandis que des “ex-forces de l’ordre démobilisées” et armées interdisaient l’accès au site.
Une attestation de plantation datant de 1985 d’un propriétaire terrien, démontrant qu’il occupe et exploite les terres depuis de longues années.
Ce conflit concerne spécifiquement 203 hectares de terres appartenant à M’Batto-Bouaké, qui avaient été classées sous le redressement et la régularisation de « Danhokro » et « Bregbo Résidentiel », sans aucune enquête publique ni consultation des villageois. Une procédure d’annulation, engagée par les habitants, a conduit à l’annulation de ces titres par le Conseil d’État (Arrêt n° 76 du 30 mars 2022). En attendant les résultats d’une expertise géomètre pour délimiter les parcelles, Koné Moussa aurait pris possession des terres en détruisant les plantations d’hévéa, sous la protection d’hommes armés.
Interventions judiciaires et tentatives de conciliation
Pour mettre fin à ces actes, les habitants ont saisi le procureur du tribunal de première instance de Bingerville afin d’ouvrir une enquête sur la destruction de leurs biens et les menaces reçues. Le dossier est actuellement en attente à la brigade de Gendarmerie de Bingerville depuis deux semaines.
Une réunion de conciliation s’est tenue le 19 septembre 2024 au carrefour N’Da, en présence d’opérateurs voisins et de services techniques de la mairie, mais sans la présence de la famille Alloubé ni de Koné Moussa. Le procès-verbal de la réunion, établi par un huissier, a révélé plusieurs points importants : la chefferie d’Adjamé Bingerville a déclaré qu’aucune famille ne possédait une telle superficie ; un représentant de Sebia Yao, prétendument signataire d’une attestation coutumière pour la famille Alloubé, a contesté la légitimité de cette attestation, contestée depuis 2014. M. Danho Roger, membre foncier de Sebia Yao, a affirmé que la famille Alloubé ne possédait que trois hectares.
Dans ce contexte, M’Batto-Bouaké appelle les autorités compétentes à intervenir : « Nous demandons l’intervention du chef de l’État, du ministre de la Défense, du ministre de l’Intérieur et du ministre de la Justice pour trouver une solution définitive et préserver la paix dans nos villages », a déclaré Biesson Clément.
Une vue d’une plantation d’hévéa détruite par les bulldozers de Moussa Koné dit Autorité Nabil.
Réactions de la famille Alloubé et de Koné Moussa
Au carrefour N’Da, la famille Alloubé a également pris la parole. Abonon Jean et Nangui Gnankou Daniel, chef de famille, ont soutenu que leurs ancêtres étaient les premiers habitants de la zone et que la famille Alloubé est légitime propriétaire des 160 hectares contestés. Ils ont expliqué l’absence de signature d’Adjamé Bingerville sur leur attestation coutumière par une dérogation permettant aux villages voisins, comme Sebia Yao, de délivrer de telles attestations.
Koné Moussa, dit “Autorité Nabil”, a réfuté les accusations de recours à la force militaire et de tentative d’expropriation, les qualifiant de diffamation. Il a affirmé ne pas posséder de documents attestant ses droits sur la parcelle en question, tout en évitant de commenter l’enquête de commodo et incommodo. Il a mentionné qu’il avait obtenu une autorisation pour 45 hectares, sans pouvoir fournir plus de détails sur les 150 hectares contestés, invoquant des raisons de confidentialité.
Une enquête de commodo et incommodo absente
En Côte d’Ivoire, toute opération de lotissement ou d’aménagement foncier doit être précédée d’une enquête de commodo et incommodo, procédure publique destinée à prévenir les conflits de propriété. Cette enquête permet aux personnes prétendant à des droits sur une parcelle de se manifester et d’émettre des objections.
L’absence d’une telle enquête, dénoncée par les villageois de M’Batto-Bouaké, pourrait invalider tout processus de lotissement. Ils soulignent que cette omission aurait permis aux acteurs concernés de faire valoir leurs droits, en particulier ceux portant sur des titres de propriété coutumière. La rigueur dans l’application des règles foncières est essentielle pour éviter l’instabilité foncière et sociale dans la région.
LA REDAC’