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Bénin / Vente illicite de médicaments pharmaceutiques : quand la porosité des frontières facilite le trafic

Au Bénin, la vente illicite des médicaments est interdite. Mais ces produits pharmaceutiques intraçables continuent “de circuler dans les marchés, boutiques et rues du pays”, malgré les répressions et les sanctions. D’où proviennent-ils alors et que font les services de la douane et de la Police républicaine au niveau des frontières béninoises ? Au-delà, le gouvernement béninois joue-t-il effectivement sa partition dans la lutte contre le phénomène ? Nous avons mené l’enquête.

100.000 morts. C’est le nombre de décès causés chaque année par la consommation de médicaments factices selon les chiffres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en Afrique Sub-saharienne. La vente de ces médicaments au Bénin est une importante source de revenus pour de nombreuses familles. Face à la répression corsée contre ce commerce illicite, les revendeurs rivalisent d’astuces pour dissimuler les médicaments contrefaits sur les étalages dans les rues, dans les boutiques et au marché.

Le Bénin partage près de 800 km de frontière avec le Nigéria. Bienvenu D. est un commerçant qui passait régulièrement la frontière bénino-nigériane afin de s’approvisionner en médicaments, boissons sucrées et bien d’autres produits de grande consommation. Ancien employé de la Société Nationale de Commercialisation des Produits Pétroliers (Sonacop), celui qui s’est retrouvé sans emploi suite à la liquidation de la société en juin 2021 par l’État, est retourné à son ancienne activité. En 2021, il a fait, durant six mois, le trafic entre le Nigéria et le Bénin avant d’abandonner cette piste pour se tourner vers des semi-grossistes locaux proches de Parakou, entre Pèrèrè, N’Dali et Nikki.

Pharmacie clandestine à domicile, ©Wahabou ISSIFOU (14/07/2022)

« La dernière fois que je suis allé (au Nigéria – NDLR), j’ai quitté Parakou à 06 heures du matin et déjà à 11 heures, je suis au poste de police frontalier et j’ai traversé pour aller jusqu’au Nigéria. Le retour, déjà au plus grand tard à 18h, 19h, je suis déjà à Parakou », a-t-il expliqué. Pour rallier le Nigéria depuis la commune de Parakou, Bienvenu prend souvent des raccourcis, à l’aller comme au retour. Ce qui n’est pas sans risque. « Quand on t’arrête, ta moto est saisie. Toi-même, si tu n’as pas de chance…, c’est la prison. C’est très compliqué sur toute la ligne, peu importe ce que tu vas acheter », a-t-il poursuivi en justifiant son commerce par le manque de travail.

Tout comme Bienvenu, Ousmane A. est un commerçant de produits de première nécessité tels que le riz, l’huile végétale, les biscuits, les sucreries et aussi les médicaments. Ousmane a longtemps fait le trajet Bénin – Nigéria au point d’initier ses jeunes frères. Aujourd’hui, ce sont ses frères qu’il envoie désormais au marché de Tchikanda, une localité du Nigéria voisine à Tchikandou, localité située à 22 km de la commune de Nikki dans le département du Borgou au Nord du Bénin.

Ousmane A. dispose de plusieurs boutiques pour la vente de ses produits. Chez lui, se niche une chambre construite en terre battue et couverte de tôles, une “pharmacie clandestine”. Il nous permet d’y accéder. Dans cette pharmacie improvisée, les médicaments sont entreposés en violation des normes sanitaires requises. Provenant du géant de l’Est, ces médicaments ne respectent aucune méthode de conservation. L’entrepôt clandestin de médicaments est géré par l’épouse de Ousmane qui n’a reçu aucune formation dans une branche de la pharmacie.

C’est auprès d’elle que certains détaillants viennent se ravitailler. L’entrepôt est connu des habitants et seuls les clients habitués des lieux peuvent y avoir accès. Les inconnus ou étrangers sont immédiatement identifiés et la réponse à eux servie est claire : « [la vente de médicaments pharmaceutiques], c’est interdit. [Il] faut te rendre à la pharmacie » ; « une solidarité coupable de la population qui nous complique la tâche », a confié une source policière.

Des pratiques malicieuses d’une activité à risque

Tchikanda est une localité nigériane, juste séparée du Bénin par un pont. Elle abrite un marché qui s’anime chaque mardi.  Ce marché fait frontière avec l’arrondissement de Ouénou (village Tchikandou), situé dans la commune de Nikki, département du Borgou au Bénin. La monnaie la plus utilisée dans cet espace frontalier est celle du Nigéria, le Naira. Le Baatonu, l’Anglais, le Haoussa, le Ibo ou le Yoruba sont les langues les plus parlées dans cette région frontalière.

Le jour du marché, les contrebandiers (commerçants, revendeurs, trafiquants et simples individus) viennent de partout. Une fois à la frontière, les citoyens peuvent simplement traverser sans protocole. Il faut noter que les frontières béninoises avec le Nigéria sont officiellement fermées depuis 2019 en raison de la persistance de la contrebande transfrontalière. Seules les personnes physiques sont autorisées à passer la frontière.

Une fois dans le marché de Tchikanda, l’on peut constater la vente de différentes marchandises telles que les sucreries, les objets en plastique, les intrants agricoles et bien évidemment des produits pharmaceutiques tels que les comprimés. Ces derniers sont allègrement  exposés sur divers étalages par les vendeurs nigérians. Dans les entrepôts qui se trouvent dans ce marché, les produits pharmaceutiques sont simplement disposés dans des cartons à température ambiante estimée à plus de 30°C.

L’achat n’est pas du tout compliqué, il suffit de faire le choix de ses produits et le tour est joué. Pour passer la frontière, les produits sont dissimulés dans des sacs et cartons de biscuits et d’autres marchandises autorisées. « Tout le monde ne passe pas par ici. Mais ceux qui passent, on fouille quand même pour regarder. On a fait des prises aussi. Et ces cas-là, on les envoie au Procureur. Même si c’est un peu, il peut décider qu’on lui amène l’intéressé. Si ce sont des médicaments en quantité, ils ne passent pas par ici. Il y a assez de voies de contournement dans la zone. C’est à des heures tardives, tu vas les voir souvent », a confié un policier que nous avons rencontré.

Du retour du Nigéria, commerçants et vendeurs préfèrent emprunter des chemins détournés tels que les forêts et rivières pour échapper aux contrôles des agents de police et des douanes nigérianes et béninoises qui essaient de les intercepter. De jour comme de nuit, certains contrebandiers parviennent à échapper au dispositif de sécurité en raison, selon nos sources, du manque de moyens humains et matériels des unités de la police et de la douane. Sur cet axe, ces trafiquants passent par les localités de Tasso, Gninsi, Guinangourou, Donplawi, Sérékali et autres. Le phénomène est devenu cyclique. Il se déroule sous le regard impuissant des agents de police et de douane qui sont obligés de se contenter des moyens du bord.

Des raisons pour se justifier

Faridath, Mouina et Odette (noms d’emprunt) sont des revendeuses, semi-grossistes et détaillantes de médicament à Parakou. Faridath et Mouina s’approvisionnent au Nigéria. Quant à Odette, détaillante, elle le fait à Nikki, commune frontalière au Nigéria. Ces femmes n’ont aucun diplôme en pharmacie et ne disposent pas d’autorisation de commercialisation, ni d’autorisation de mise sur le marché, encore moins d’une autorisation spéciale.

Pourtant, l’article 6 de la loi n°2021-03 du 1er février 2021 portant organisation des activités pharmaceutiques en République du Bénin, dispose, en son alinéa trois que : « ne peuvent être exercés que par des pharmaciens ou sous responsabilité, les activités de la vente en gros, la vente au détail et toute dispensation au public des médicaments et des produits assimilés ». Interrogées, les trois commerçantes reprennent le même refrain. D’une part, il y a la pauvreté et d’autre part, la vente illicite de médicaments est très rentable.

Des propos que confirment Clément, Moudachirou et Carine, consommateurs de médicaments de la rue. Pour Clément, ressortissant  de Sinendé, la commune ne disposant pas d’officine de pharmacie, les habitants se rabattent sur les médicaments de la rue, la seule officine de pharmacie située à plus de 88 km dans la commune de Bembéréké. Pour s’y rendre, il faut passer plus de deux heures d’horloge. Aussi, faudrait-il  braver l’état de la route devenue complètement impraticable.

 « Si moi, je prends parfois les médicaments au quartier, chez les bonnes dames, ou au marché, en cachette, c’est parce que c’est moins cher. Je n’ai pas besoin d’aller à la pharmacie ou à l’hôpital. Sauf quand c’est grave », s’est expliquée Carine. Le septentrion (les quatre départements du Nord du Bénin) compte 36 officines de pharmacie dont 19 à Parakou. Le manque de pharmacie dans plusieurs communes du Nord du Bénin (Karimama, Ségbana, Gogounou, Pèrèrè, Kalalé, Sinendé, Kouandé, Matéri, Wassa Péhunco, Cobly, Toucountouna, Copargo) sont également des raisons évoquées par certains citoyens pour justifier leur achat dans les rues et les marchés. Selon un pharmacien, il faut une pharmacie pour 3 500 habitants, mais toutes ces communes de plus de 60 000 habitants, d’après le dernier recensement général de la population et de l’habitation, ne disposent pas de pharmacies.

« On ne peut pas comparer qualité et non qualité »

Maurice Assogba, pharmacien d’officine à Parakou, représentant région 5 (Borgou, Alibori, Atacora, Donga) du Conseil central A de l’ordre des pharmaciens du Bénin définit le médicament comme un produit très sensible dont la manipulation est laissée aux professionnels. « Tout professionnel de la santé sait que c’est un élément important qui rentre dans les soins thérapeutiques. Donc, on ne saurait traiter des gens sans s’assurer de la qualité des éléments qu’on utilise et donc des médicaments qu’on utilise à ces fins-là », a-t-il indiqué en précisant qu’on ne peut comparer ce qui est comparable.

« On ne peut pas comparer qualité et non qualité. Lorsque vous avez un produit alimentaire par exemple, ou une boisson frelatée sur le marché, attendez-vous à ce qu’elle n’ait pas le même prix que la boisson qui a suivi tous les contrôles qu’il faut pour être mise sur le marché. Donc, en fait, il n’y a pas de discussion à avoir là », a-t-il expliqué en ajoutant que celui qui va sur le marché, pensant que c’est moins cher, prend des risques pour sa santé.

« Les produits illicites proviennent d’un peu partout. Ça vient par le port, par les kits en transit. Les tramadol qui transitent pour aller par exemple vers le Niger, ces mêmes produits peuvent encore revenir par voie terrestre au pays. Puisque c’est des produits qui sont en transit, qui ne sont pas destinés au Bénin. Une fois là-bas et que les opérateurs vendent leur chose, les commerçants peuvent ramener ce même produit à l’intérieur du pays. Donc, ce n’est pas seulement par le Nigéria», a rapporté un agent des douanes béninoises.

 Répression inefficace

En juin 2017, le gouvernement béninois, garant de la protection du consommateur et de l’accessibilité aux produits de première nécessité, a pris la résolution d’entamer une farouche lutte contre la vente illicite des médicaments pharmaceutiques. Ceci à travers la ratification de la convention Médicrime adoptée par le Conseil de l’Europe en septembre 2010.

Mais avant, en février de la même année, l’opération Pangea IX, organisée par Interpol a permis de démanteler un réseau de trafiquants et de détruire une centaine de tonnes de stock de faux médicaments dans le marché Adjégounlè à Cotonou, un marché réputé pour le trafic de faux médicaments. Les opérations de contrôle et de perquisition se sont poursuivies ensuite. Elles ont abouti à l’arrestation de cinq grossistes-répartiteurs, dont un français, qui ont été condamnés en mars 2018 par le tribunal de première instance de première classe de Cotonou. aux procédures de mises sur le marché de médicaments et d’avoir entretenu un circuit illicite de médicaments.

Selon une source policière, une dizaine de trafiquants de médicaments pharmaceutiques ont été arrêtés au mois de juillet 2022 dans la commune de Nikki et déférés à la prison civile de Parakou.

Douaniers et policiers impuissants face à la porosité des frontières

« A l’œil nu, on ne peut tout détecter. Il faut des matériels sophistiqués. Le minimum que nous faisons, c’est des contrôles avec les frontaliers. Nous prenons des gens de façon sélective parce que, quand les véhicules sont alignés, vous ne pouvez pas vous mettre à les contrôler chacun (…) Par rapport à la frontière maritime, ça, c’est un autre problème… Nous n’avons pas le matériel adéquat pour ces contrôles-là. Il nous faut des vedettes, c’est-à-dire des bateaux sophistiqués pour pouvoir faire ce contrôle… Les vedettes que nous avons ne sont pas des vedettes de grandes puissances », fait savoir un agent des douanes.

Il poursuit, « une mission, ce sont les moyens. Et qui dit moyen, dit moyen matériel, financier et humain. C’est vrai, les moyens humains sont là, mais pour un contrôle approfondi, il faut vraiment le matériel. Pour être honnête… nos frontières sont vraiment poreuses. Et la fraude, ça va vite. Quand vous n’avez pas le matériel adéquat pour le contrôle, c’est vraiment difficile de faire le contrôle… En dehors de ça, il faut aussi l’information… sans l’information, c’est difficile [de détecter les fraudes] ». Des propos que nous avons cherché à confirmer ou infirmer auprès du Directeur départemental Borgou Alibori de la douane, mais sans succès.

Le retour du marché, poste de police de Tchikandou, ©Wahabou ISSIFOU (19/07/2022)

Même son de cloche du côté de la police pour qui le travail se fait avec les moyens disponibles. Le commissariat du poste frontalier ne compte que 14 agents. Un effectif très insuffisant face à l’ampleur du phénomène. L’autre raison qui justifie l’entrée des produits illicites à l’intérieur du pays, selon notre source à la police, c’est la fermeture des frontières par le Nigéria. Cette fermeture oblige les trafiquants à passer par des voies de contournement. Des checkpoints sont disposés pour les interventions, mais malgré cela, certains trafiquants arrivent à leur échapper. « Lorsque nous sommes en difficulté, nous faisons appel aux éléments (policiers – NDLR) de Nikki, Biro ou Sérékali  », a ajouté un autre agent du poste de police frontalier. À l’en croire, « personne ne veut dénoncer, ce qui justifie le fait que certains trafiquants nous échappent ».

Ce que dit la loi

La loi 2021-03 du 1er février 2021 portant organisation des activités pharmaceutiques en République du Bénin, en l’alinéa 1 de son article 89 dispose que, « est coupable d’exercice illégal de la pharmacie, quiconque se livre à des activités relevant du monopole pharmaceutique, sans être un pharmacien légalement qualifié ». L’alinéa 3 du même article précise que quiconque se rend coupable d’exercice illégal de la pharmacie est puni d’une peine d’emprisonnement d’un à trois ans et d’une amende de 500.000 à 2 millions de francs CFA. Et en cas de récidive (alinéa 4), l’auteur des faits encourt un emprisonnement de 2 à 5 ans.

Il faut noter que, selon la même loi en son article 90 alinéa 1, il est interdit, tout débit, tout étalage ou toute distribution de médicaments sur la voie publique, dans les foires ou les marchés. Les seuls lieux où la vente des médicaments est autorisée, ce sont les officines de pharmacie, la pharmacie à usage intérieur ou le dépôt de produits pharmaceutiques. L’alinéa 4 du même article précise que, « l’auteur de toute violation des interdictions prévues au présent article est puni d’une peine d’emprisonnement ferme d’un (01) à cinq (5) ans et d’une amende de cinq cent mille (500 000) à deux millions (2000 000) de francs CFA ou de l’une de ces deux peines seulement ».

La mutation de l’ex-Direction de la pharmacie, du médicament et des explorations diagnostiques en Agence béninoise de régulation pharmaceutique (Abrp) semble traduire la volonté du Gouvernement béninois de renforcer le contrôle sur le médicament, d’améliorer et de garantir la sécurité des produits de santé mis en consommation dans le pays. Selon l’Agence, chacune des officines de pharmacie est inspectée en moyenne une fois par an et autant de fois que nécessaire. « Pour ce qui concerne les opérations de saisie réalisées de concert avec les forces de l’ordre, elles sont classées confidentielles », a affirmé l’Abrp dans un mail en réponse à nos questions. « Ces rapports sont destinés aux responsables des structures concernées, sauf si c’est un rapport à caractère public », précise le mail.

Il est difficile, explique-t-il toujours, d’identifier les structures concernées dont parle l’Abrp. « On a fait un contrôle dernièrement, et nous avons regardé toute une série de médicaments prélevés dans toutes les officines du territoire. Et nous avons pu avoir quelques molécules effectivement qui n’étaient pas de qualité. On a procédé à leur retrait », a indiqué le ministre béninois de la Santé, Benjamin Hounkpatin, sur la chaîne nationale du Bénin (Ortb) le 31 mai 2022, lors d’un magazine intitulé « Le Gouvernement en action ».

Mais au-delà de ces retraits, l’autorité ministérielle a reconnu l’existence d’un circuit parallèle à travers les pays voisins. Benjamin Hounkpatin pense qu’il faut également assainir l’environnement sous régional puisque le défi n’est plus interne. Voilà pourquoi il travaille avec ses autres collègues de la sous-région pour lutter contre le phénomène. Ceci a permis la création de l’Agence africaine du médicament dont l’objectif principal est d’améliorer la capacité des États membres et des Communautés économiques régionales reconnues par l’Union Africaine, à réglementer les produits médicaux en vue d’améliorer l’accès à des produits médicaux de qualité, sans risque et efficaces sur le continent.

Le ministre Hounkpatin a également annoncé, lors de cette même émission, la création dans les prochains mois de la plateforme e-pharmacie afin de vérifier la qualité des médicaments qui traversent les frontières.

Par Wahabou ISSIFOU

Cet article a été rédigé dans le cadre d’un programme de formation de l’association Ekôlab.

Ekôlab est une organisation à but non lucratif dédiée au développement du journalisme en Afrique et fondée sur trois piliers : les enquêtes sur des sujets de sociétés en Afrique, la formation des journalistes et l’éducation aux médias. Vous pouvez retrouver Ekôlab sur Twitter, Facebook et LinkedIn. 

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