Ancien ministre et n° 2 de l’Élysée sous Nicolas Sarkozy, ancien directeur de la police, qui revendiquait force et ordre contre les délinquants, Claude Guéant va passer, lundi 13 décembre, sa première nuit en prison. Un tremblement de terre au sein de l’ancien clan présidentiel.
Il s’agit d’une première, dans l’histoire récente de France, pour un homme politique ayant occupé autant de fonctions sur le toit de la République. Ancien ministre de l’intérieur, secrétaire général de l’Élysée, directeur de la police nationale, préfet, directeur de cabinet et, pendant une décennie, entre 2002 et 2012, inséparable bras droit de Nicolas Sarkozy, Claude Guéant a été incarcéré, lundi 13 décembre.
Surnommé du temps de sa splendeur « le Cardinal » ou « le vice-président » – c’est dire l’idée de puissance dont il a été longtemps entouré –, il a été placé en détention au centre pénitentiaire de la Santé, situé dans le sud de Paris.
La déchéance est totale pour ce haut fonctionnaire discret et taiseux, qui a si longtemps revendiqué la force et l’ordre contre les délinquants et qui se retrouve aujourd’hui lui-même englué dans les rets de la justice pour d’innombrables dossiers ayant marqué, au-delà de son cas personnel, tout le sarkozysme (affaires des primes, des financements libyens, du Kazakhgate, des sondages de l’Élysée…).
Après l’incarcération en septembre 2019 de l’ancien député et maire de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) Patrick Balkany – il a depuis été libéré pour raisons de santé –, Claude Guéant est la deuxième personne du tout premier cercle de Nicolas Sarkozy à se retrouver derrière les barreaux pour des affaires d’atteinte à la probité.
Claude Guéant et Nicolas Sarkozy. © Photo illustration Sébastien Calvet / Mediapart
Son incarcération est la conséquence d’une décision prise en septembre dernier par une juge d’application des peines (JAP) du tribunal de Paris et confirmée début novembre par la cour d’appel, en raison de son comportement depuis sa condamnation à deux ans de prison dont un ferme dans l’affaire dite des « primes » du ministère de l’intérieur.
Dans ce dossier, la justice avait définitivement condamné Claude Guéant pour s’être enrichi personnellement, alors qu’il était directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, place Beauvau, de 105 000 euros en cash (non déclarés), en ponctionnant de l’argent liquide dans l’enveloppe normalement dévolue aux frais d’enquête des policiers.
Condamné à payer 180 000 euros (75 000 euros d’amende et 105 000 euros de dommages et intérêts), Claude Guéant a, d’après les décisions de justice, renâclé à honorer sa dette envers l’État en dépit d’une situation financière qui lui aurait permis de faire plus et mieux, selon un rapport de police de janvier 2021 révélé par Mediapart. D’où son placement aujourd’hui en détention, consécutif d’une double révocation de son sursis et de son placement en liberté conditionnelle (voir ici toutes les précisions).
La durée de la détention de Claude Guéant pourrait durer neuf mois, selon les décisions judiciaires, mais son avocat, Me Philippe Bouchez El Ghozi, devrait demander rapidement une remise en liberté en raison de l’état de santé de son client de 77 ans, qu’il dit « préoccupant », notamment sur le plan cardiaque.
Sur le fond du dossier des primes du ministère, Claude Guéant continuait de revendiquer, il y a dix jours seulement, devant la caméra d’un youtubeur mondain, une « pratique tout à fait habituelle au ministère de l’intérieur depuis des décennies », avant de s’en prendre à la justice : « Au lieu de dire le droit, la justice crée le droit […] alors qu’aucun texte ne s’y oppose ! »
Cela en dit long sur le sentiment d’impunité qui semble continuer d’étreindre Claude Guéant, malgré les condamnations judiciaires et leurs motivations cinglantes. En première instance, les juges de l’affaire des primes avaient ainsi évoqué « une atteinte aux valeurs de la démocratie républicaine et à la transparence de la vie publique, participant de la défiance que les citoyens peuvent nourrir à l’égard des politiques, des institutions et de ceux qui les gouvernent ».
À part celles de son avocat, les réactions à l’incarcération de Claude Guéant n’ont pas saturé les médias, ce lundi, notamment dans son camp politique, chez Les Républicains. Le fait est que personne ne peut ignorer qu’au-delà de l’affaire des primes, d’autres dossiers d’ampleur attendent l’ancien « cardinal » de Nicolas Sarkozy et menacent tout l’édifice de « République irréprochable »maintes fois promise par l’ancien chef de l’État.
À commencer par le dossier des sondages de l’Élysée – une affaire de détournements de fonds publics présumés depuis la présidence de la République – pour lequel le parquet national financier (PNF) a réclamé un an de prison ferme sans aménagement à l’égard de Claude Guéant. Le jugement sera rendu le 21 janvier prochain.
Une récente audience publique au tribunal dans le cadre de ce dossier a d’ailleurs montré le grand isolement de Claude Guéant, qui n’a pas hésité à décocher une flèche contre Nicolas Sarkozy, sans jamais le nommer : « Même ceux avec qui j’ai travaillé, dont j’ai défendu les causes, m’ignorent complètement », s’est plaint, le 3 décembre, l’ancien ministre.
Claude Guéant-Nicolas Sarkozy, Nicolas Sarkozy-Claude Guéant : les deux hommes ont été indissociables politiquement, ils le sont désormais judiciairement. D’une part, l’ex-président enchaîne, lui aussi, les condamnations à des peines de prison ferme, dans les affaires Bismuth et Bygmalion – il a fait appel, ce qui suspend l’application des jugements.
D’autre part, le sort judiciaire des deux hommes est lié par un seul et même dossier : le scandale des financements libyens. Il sont tous les deux mis en examen pour de nombreux délits présumés, dont la « corruption », l’« association de malfaiteurs » ou le « financement illicite de campagne électorale ».
Dans cette affaire d’État, où la justice soupçonne une dictature (la Libye de Kadhafi) d’avoir stipendié une démocratie (la France de Sarkozy), l’ancien président français a pris le parti de lâcher sur procès-verbal Claude Guéant et son autre plus fidèle lieutenant, Brice Hortefeux.
« Je n’avais aucun élément pour connaître ce qu’était la réalité de leur vie », avait déclaré en octobre 2020 Nicolas Sarkozy devant les juges, dénonçant des « fautes »et des fréquentations « incompréhensibles » de leur part. « C’est encore plus vrai pour ceux qui nous entourent, ceux qu’on aime et qui peuvent parfois nous décevoir », avait encore dit l’ancien président aux magistrats, sans manifestement convaincre les juges.
Ces derniers mois, Claude Guéant a continué de faire bloc, sur le fond du dossier libyen, derrière Nicolas Sarkozy. Dès 2013, son fils l’alertait pourtant par texto sur le fait qu’il était un « bouc émissaire » et un « paratonnerre parfait » pour Nicolas Sarkozy. « Et je crois que cela ne dérange pas ton ancien boss, bien au contraire. Dans ces cas-là, il faut penser qu’à sa gueule, papa », précisait encore le SMS.
L’ancien homme fort du sarkozysme pourra désormais repenser à cette mise en garde depuis sa cellule de la Santé.
Mediapart I 13 décembre 2021 | Par Fabrice Arfi et Michel Deléan