La Fondation Donwahi pour l’Art Contemporain, située à Abidjan-Cococy, accueille jusqu’au 31 décembre 2024, une exposition saisissante intitulée « Vieux n’est pas injure ». Une initiative magistrale qui met en lumière le travail d’un artiste qui, par son regard aiguisé et sa capacité à brouiller les frontières entre art et engagement social, redéfinit les contours de la photographie contemporaine : Gauz’ de son nom d’artiste, ou plus précisément, Armand Patrick Gbaka-Brédé. Né à Abidjan le 22 mars 1971, cet humain aux multiples facettes incarne le croisement entre l’intellectuel, le créateur et le citoyen engagé…
Le destin de Gauz’ s’apparente à un récit de résilience. Diplômé en biochimie, il se trouve un temps pris dans la trame d’une vie d’exil intérieur, naviguant dans les eaux troubles de la précarité administrative dans la Ville des 1000 Cloches. Ce n’est qu’au fil des années, et après un parcours de combattant qui l’a mené de l’ombre à la lumière, que, Gauz’, The King ou encore Pelé issu d’un monde scientifique, trouve sa voix véritable à travers les Arts. L’artiste, paradoxalement, se nourrit de son passé d’intellectuel et d’observateur pour se libérer des normes et s’ouvrir à une expression multidimensionnelle.
En plus de son œuvre littéraire, que l’on retrouve dans des titres remarqués tels que Debout-payé (2014), Camarade Papa (2018) ou encore Black Manoo (2020), Gauz’ se distingue comme photographe, documentariste, scénariste et réalisateur. Loin des chemins battus, il opère une déconstruction des représentations classiques de l’Afrique à travers ses différents médiums.
« Vieux n’est pas injure » : un cri d’alerte sur l’invisibilité des aînés
Dans l’exposition « Vieux n’est pas injure », Gauz’ interroge l’âge et ses stigmates dans une société africaine. Le titre même de l’exposition – « Vieux n’est pas injure » – est un manifeste. Il s’élève contre le mépris dont sont victimes les personnes âgées, qu’elles soient invisibilisées ou, pire encore, réduites à une caricature négative. A travers une série de portraits en noir et blanc d’une puissance bouleversante, l’artiste explore les visages marqués par le temps, capturant l’histoire de chaque personne, de chaque ride, chaque expression, chaque regard… Ces portraits sont autant de témoignages d’une humanité mise à l’épreuve par les années, mais dont la dignité et la sagesse transcendent le regard réducteur de la société. Gauz’ réussit l’exploit de magnifier ses sujets, de leur redonner une voix, une existence, dans un monde qui les aurait préférés silencieux. Loin des clichés sur les jeunes dynamiques et entreprenants, il place en pleine lumière ceux qui ont traversé les époques, et dont la mémoire et les expériences sont souvent ignorées.
L’artiste comme médiateur du réel
L’univers de Gauz’ est un espace de réflexion où s’entrelacent fiction et réalité. Sa démarche photographique ne se limite pas à une simple captation d’images ; elle est une exploration profonde des enjeux sociaux, politiques et culturels de son époque. Dans ses œuvres, chaque détail compte, chaque ombre, chaque lumière participe à un discours plus large sur les fractures de nos sociétés. Si l’artiste n’hésite pas à s’emparer des codes du documentaire, il joue également avec ceux de la mise en scène, en apposant sa propre vision sur des réalités souvent complexes et fragmentées.
Gauz’ ne se contente pas de raconter des histoires ; il les crée, en réinventant le regard que l’on porte sur l’actualité, l’Histoire et les représentations de l’autre. Dans ses films et documentaires, ainsi que dans ses livres- à commencer par Cocoaïans (2022), où il interroge l’émergence d’une nation chocolat, métaphore de l’industrie et de l’agriculture en Afrique – il se fait l’écho d’une Afrique plus nuancée, plus complexe, moins figée dans des stéréotypes.
Une œuvre en perpétuelle évolution
Aujourd’hui, c’est à Grand-Bassam, non loin d’Abidjan, que Gauz’ choisit de poser ses valises, un lieu empreint d’histoire et de culture. Cet endroit, à la croisée des chemins entre tradition et modernité, semble symboliser l’équilibre fragile mais nécessaire que l’artiste cherche à instaurer dans son œuvre. Il n’est pas seulement un observateur, mais également un acteur qui questionne, provoque, réveille les consciences.
Son travail est résolument tourné vers l’avenir, sans jamais renier son passé. Chaque nouveau projet semble un pas de plus dans sa quête pour donner une nouvelle place à l’art, la culture et les identités, non seulement en Afrique, mais dans le monde. Avec “Vieux n’est pas injure“, Gauz’ rappelle l’importance de l’histoire et de la mémoire, mais aussi la nécessité de préserver et de célébrer la richesse humaine à toutes les étapes de la vie.
Artiste pluriel aux œuvres plurielles , témoin de son époque, Armand Gauz’ nous invite à réfléchir sur le temps, sur la société, sur les fractures invisibles qui nous divisent et, en même temps, sur ce qui nous lie. La Fondation Donwahi, – créée en 2008, en hommage à Charles Bauza Donwahi (1926-1997), mécène et promoteur éclairé des arts et de la culture – à travers cette exposition, offre au public l’occasion de contempler des images qui, bien plus que des photographies, sont des invitations à une réflexion intime et collective sur le vieillissement, la dignité et la transmission des savoirs. Gauz’ a réussi, une fois encore, à conjuguer art et engagement, en parvenant à rendre hommage à ceux que le monde préfère souvent oublier.
Taki BOUANZI